Manon Audinet, skipper de l’AC 40 Orient Express – L’Oréal Racing Team
Grande spécialiste du catamaran, Manon Audinet, qui évolue depuis le début de la saison 3 sur le circuit SailGP avec le France SailGP Team, s’apprête à relever un défi de taille : tenter de mener l’Orient Express – L’Oréal Racing Team, dont elle est le skipper, à la victoire sur la première Women’s America’s Cup de l’histoire.
Originaire de La Rochelle où elle grandit, Manon Audinet ne commence pas la voile dès l’enfance. « Mon père a fait de la voile quand il était jeune, puis a navigué sur le bateau de son père. Il a toujours aimé ça contrairement à ma mère (ma mère ne déteste pas la voile, elle n’en avait juste jamais fait). Mon petit frère en a fait aussi un peu mais enfant. Moi, ça ne m’attirait pas du tout même si j’aimais bien aller sur le bateau de mon grand-père le week-end », raconte-t-elle. « Avant, j’ai fait du tennis mais c’était une catastrophe, puis trois-quatre ans de natation. J’aimais bien ça et ensuite j’ai essayé l’équitation, mais ça a été aussi un échec », plaisante Manon, qui tire ses premiers bords en catamaran à l’âge de 11 ans lors d’un stage d’été, motivée par la mère d’une copine qui travaillait au club de voile de La Rochelle. Elle accroche vraiment avec le support l’année suivante grâce à « un super moniteur qui entraînait aussi l’équipe de catamaran de sport à l’année ». Ce dernier lui propose d’intégrer le team. Manon accepte avec le soutien de ses parents, « sans savoir ce que ça allait donner ».
Les choses s’enchaînent rapidement pour la jeune licenciée à St Georges Voile, qui débute la compétition à l’âge de 12 ans sur un petit catamaran en double mixte. Si à la base, elle n’a pas une âme de compétitrice, elle se prend au jeu dès sa première régate. « J’adorais être sur l’eau, quand il y avait du vent. On a gagné notre première régate. J’ai trouvé ça génial », confie Manon, qui trouve sa voie et la poursuit, avec l’approbation parentale. De ses 12 à ses 19 ans, elle navigue sur des catamarans de sport chez les Jeunes et en Seniors, ce qui lui permet d’apprendre à naviguer sur des bateaux à dérive nécessitant un peu plus de réglages. A l’époque, elle enchaîne les podiums nationaux chez les Jeunes et parfait son apprentissage sur de plus gros bateaux dont les Formule 18, une expérience « super formatrice qui lui a permis d’apprendre plus de choses plus rapidement ».
Si le catamaran n’est pas olympique à ce moment-là, elle est acceptée en classe Sports Études et bénéficie d’horaires aménagés sans pour autant avoir un programme d’entraînement aussi assidu que les autres. Cela lui permet de dégager du temps pour s’entraîner et faire de la préparation physique en parallèle de sa scolarité, qui la mène jusqu’à un Bac ES puis à un IUT Tech de Co. « L’école n’a jamais été ma passion. Je suis entrée à l’Université au moment où je suis partie sur une campagne olympique mais il fallait que je fasse des études pour que mon double projet se passe bien. J’ai eu la chance de tomber sur des professeurs super compréhensifs qui m’ont aidé à fond et ont suivi ce que je faisais côté sportif. J’ai pu dédoubler ma dernière année, ça s’est bien passé ».
Sa première campagne olympique, Manon la fait en Nacra 17, support vers lequel elle se tourne en 2013 avec Moana Vaireaux, son entraîneur en Hobie 16. « Quand j’étais plus jeune, il n’y avait pas de catamaran aux Jeux à part le Tornado qui n’était pas adapté aux femmes. J’en rêvais mais je ne savais pas comment je pouvais les faire un jour. La porte s’est ouverte avec le Nacra 17 », indique Manon, qui rentre en Équipe de France dès la première année aux côtés de Billy Besson et Marie Riou, dont ils sont remplaçants pour Rio 2016 avec Moana. Un an et demi-deux ans après le début de sa deuxième préparation olympique, le duo décide de se séparer. Manon contacte alors Quentin Delapierre, contre qui elle a navigué quand elle avait 13-14 ans, et qu’elle a recroisé par la suite, sur le Tour Voile notamment. « On a fait une semaine d’entraînement qui s’est super bien passée. C’était un peu osé de se lancer un an avant les sélections pour Tokyo 2020. On a fait ça en mode sprint mais j’avais vraiment en tête de faire Tokyo et je me suis dit que Quentin était potentiellement le bon client pour faire le hold-up ». Sélectionnés pour les Jeux Olympiques, Manon et Quentin, heureux d’avoir relevé ce challenge ambitieux, enchaînent les bons résultats. Vainqueur de la Coupe du Monde sur le plan d’eau d’Enoshima, 4e au Championnat du Monde, 2e au Championnat d’Europe, le duo signe une performance en-deçà des espérances aux Jeux en terminant 8e. « On y croyait. On a été déçus mais ça fait partie de notre carrière et ça nous a rendus plus fort après », relativise-t-elle, se réjouissant d’avoir fait partie des premières femmes à avoir fait voler un catamaran sur l’eau et d’avoir pu réaliser son rêve. Après quelques mois d’entraînement l’hiver suivant, Manon et Quentin décident de jeter l’éponge avant le premier évènement de la saison car ils ne prennent plus de plaisir à naviguer sur le support et veulent voir s’ils réussissent à trouver leur bonheur ailleurs. Sur le plan personnel, Manon fait la rencontre de Jason Saunders, son compagnon et futur père de son enfant, pendant ses années Nacra.
Cette quête du bonheur aboutit dès 2022, sur SailGP, circuit prestigieux sur lequel Manon rejoint Quentin quelques mois après son arrivée à la barre du F50 tricolore. Sélectionnée avec Amélie Riou, la Rochelaise intègre le France SailGP Team au début de la saison 3 aux Bermudes, en même temps que Kevin Peponnet. Sa carrière prend alors une nouvelle dimension. « Je suivais le circuit, qui me faisait rêver. Monter sur un F50 était clairement un objectif même si je n’étais pas très adepte du système au départ, quand les filles n’avaient pas leur place à bord. Dès qu’elles l’ont eu, ça a pris du sens car on fait partie intégrante de la performance. Et avec cette équipe, c’est génial », commente-t-elle. « C’est une voile différente, beaucoup plus professionnelle avec beaucoup de contraintes liées au fait que l’on n’a pas beaucoup de temps pour s’entraîner. Tout est super rapide, il faut réussir à être très performant en travaillant de manière différente pour être à 100% dès que l’on monte sur le bateau. C’est complémentaire à ce que j’ai pu apprendre en olympisme, où on a des mois pour s’entraîner et peaufiner les petits détails. C’est un peu déroutant au début mais c’est top de travailler avec une grosse équipe et de naviguer à plusieurs ».
En parallèle de SailGP, Manon est désormais le skipper de l’AC40 Orient Express – L’Oréal Racing Team pour la Women’s America’s Cup. Une grande fierté pour la jeune navigatrice, qui regardait la Coupe à la télévision avec son père, plus jeune. « Je ne pensais pas que la compétition s’ouvrirait un jour aux femmes. Ça me faisait rêver mais je me disais que je n’y aurais pas ma place. C’est devenu un rêve depuis l’annonce de la création de la Women’s America’s Cup. C’est le truc ultime que chaque navigatrice a envie de faire, la cerise sur le gâteau ». Les pré-sélections débutent peu après l’annonce. Manon y participe, enceinte. « Le fait d’être enceinte m’a permis de prendre du recul et m’a conforté dans l’idée que je voulais continuer à faire de la voile de haut-niveau. C’est arrivé au bon moment. Je n’ai aucun regret. J’ai le sentiment d’être à ma place ». Sa sélection aux côtés de six autres filles, elle l’apprend en décembre 2023. Un bel accomplissement pour la jeune femme, qui mènera un équipage de quatre personnes issues de milieux différents pour sa première expérience en monocoque volant. « SailGP m’a aidé à comprendre comment marchent les grosses machines bourrées d’électronique et d’hydraulique, sur lesquelles il n’y a quasi plus de bouts. Beaucoup de choses se recroisent entre les F50 et les AC40 dans l’utilisation du bateau, des datas même si l’équilibre des bateaux est un peu différent. Et on peut s’entraîner sur simulateur, ça enrichit encore plus. J’ai l’impression d’apprendre de nouvelles choses chaque jour. Je ne pouvais pas rêver mieux pour progresser dans la voile actuelle et en tant que femme, c’est chouette de pouvoir avoir accès à ces projets, qui plus est en tant que skipper », se réjouit-elle. Pour Manon, faire la Women’s America’s Cup à ce rôle est un vrai challenge « car on a plutôt l’habitude de voir une barreuse en tant que skipper », mais elle pourra capitaliser sur l’expérience acquise sur SailGP pour permettre à son team de gagner du temps dans sa préparation express. « Mon objectif est d’emmener les filles potentiellement à la victoire sur cette première Coupe féminine. Ça serait un truc de dingue », lance-t-elle.
L’autre défi de Manon, qu’elle relève avec Jason Saunders, c’est de concilier vie de couple, de mère et de sportive de haut niveau. « C’est un maxi challenge mais c’est super cool. On a la chance d’avoir un bébé plutôt facile. On l’emmène partout depuis qu’il est tout petit pour l’habituer à voir du monde. Il n’avait que 10 jours quand il est venu à Saint-Tropez pour SailGP », avance-t-elle. Au quotidien, Manon et Jason peuvent compter sur le soutien d’une jeune fille, qui s’occupe de leur bébé à Barcelone mais aussi sur les Sail Grand Prix. « Je la connais depuis qu’elle a huit ans. Elle est super et passionnée de voile. En cas de problème, mon bébé reste ma priorité mais c’était important pour nous de pouvoir continuer à faire ce que l’on aime, et l’opportunité d’être skipper sur la Coupe ne se présente pas 15 fois dans une vie. J’estime que si les parents sont heureux, le bébé l’est aussi alors que s’ils sont frustrés, il n’est pas très content. Je trouvais ça très cliché quand les mamans disaient que leur bébé était une source de motivation supplémentaire, mais c’est vrai et c’est vraiment cool ». Manon peut également compter sur le soutien de ses parents, qui « aident à fond avec le petit. J’ai eu la chance qu’ils aient compris ma passion et m’aient soutenu à fond au lieu de me pousser à faire des études. Ils ont fait beaucoup de concessions pour que je réussisse à monter mes projets. C’est grâce à eux que j’en suis là ».
Depuis quelques mois, Jason Saunders a rejoint l’Orient Express Racing Team et le France SailGP Team. « C’est vraiment chouette de naviguer avec Jason sur SailGP. Ça le sera encore plus quand on pourra partager des victoires ensemble. Quand on naviguait l’un contre l’autre, on était contents quand l’un de nous deux faisait une performance mais l’autre était toujours un peu déçu, ce qui est normal ». Quand elle ne navigue pas, Manon essaie de profiter de son temps libre pour visiter Barcelone en famille. « On rentre retrouver le petit et on ressort pour découvrir la ville que l’on ne connaît pas et qui est hyper intéressante. On a la bougeotte, on ne reste pas souvent à la maison ».
Date de naissance : 12 février 1992
Lieu de naissance : La Rochelle (17)
Un souvenir de l’America’s Cup en particulier : « La remontée incroyable des Américains face aux Néo-Zélandais. Je me rappelle avoir regardé les régates à mon club de voile à La Rochelle avec tous les copains. C’était magique. "
Ce que l’America’s Cup représente pour elle : « L’America’s Cup, c’est vraiment l’excellence, la voile au plus haut niveau. Il y a les meilleurs marins, le top du top dans chaque domaine. Et il y a le côté historique car c’est la plus vieille compétition sportive, un défi magnifique. »